« kiss my eyes and lay me to sleep »

Je me tenais debout, impassible. Devant moi s’étendaient les tombes à perte de vue. Je savais que tout allait changer. Vêtue de mon habit noir je venais de vivre la deuxième pire journée de ma vie. Du haut de mes cinq ans je comprenais que la vie n’avait qu’un seul but : la mort. Le cœur dans un étau, les larmes me montaient aux yeux, un cri inaudible me perçait les tympans, ce cri intérieur que je retenais en moi avec tant de force. Le teint blafard, les poings serrés j’entendais au loin l’agitation, chacun retournait à sa voiture, la cérémonie était terminée, me cherchait-on ? Au fur et à mesure que je regardais cette pierre, mon visage se crispait et mes larmes que j’avais contenues durant la cérémonie coulaient désormais comme un torrent de douleur. « Pourquoi ? … » Ma voix se vrilla et ma gorge se serra. Que devais-je attendre d’un dieu si cruel ? En cet instant j’aurai voulu qu’elle me prenne dans ses bras, qu’elle m’embrasse et qu’elle me rassure. Mais elle n’était plus et ne serait plus jamais. Le souffle coupé, je m’écroulais à genou, dans l’herbe humide. Plus de barrage, plus de colère ni même de force, j’hurlais ma peine et mon désespoir de cette vie interrompue trop tôt. Je pleurais ma mère.

Il ne fallut plus longtemps à ma tante pour me retrouver. Elle m’avait entendu crier et la détresse de sa nièce lui brisa le cœur. Elle plia les genoux, une fois à ma hauteur elle m’enserra de son amour maternel. Cette sœur endeuillée ne pensait pas qu’à mon âge on puisse souffrir autant sans rien dire à personne. Elle me serra si fort que pour la première fois depuis des mois j’eu l’impression d’exister pour moi-même. « Ça va aller … » je sentis alors les larmes de ma tante couler sur ma peau, cette femme si forte était-elle capable de faiblesses ? J’agrippais alors les bras de ce dernier rempart entre moi et ce gouffre de tristesse, cette fois c’était certain elle ne me laisserait pas m’effondrer. Le silence se faisait à mesure que les minutes passaient, nos larmes se tarissaient et nos corps se redressaient. Une fois debout, elle prit ma main avec douceur et me ramena vers le reste de la famille.


« raise me up, take me to the light »

Allongée sur l’herbe, mon esprit virevolte à la vitesse des feuilles d’automne tombant des arbres. Cette quiétude inhabituelle au cœur de New-York m’apaise. Dans mon tailleur champagne je sens le regard surpris des passants. Le temps d’une rêverie je repense à ce qui m’a amenée là. Moi qui avais eu l’impression de tout perdre il y a vingt ans je me rendais compte que finalement je n’avais pas été si malheureuse. Ouvrant les yeux mon regard se pose sur les nuages blancs parsemant le ciel et comme dans mon enfance j’imagine toute sorte de formes et de visages. Je parviens même à voir celui de ma mère étirant ainsi un sourire discret sur mes lèvres. Je me redressais enfin, j’ignorais combien de temps j’étais resté là. « Il va falloir y aller Ophe. » tentais-je de me convaincre.

C’est à ce moment précis que ma tante me retrouva, calme comme à son habitude elle s’approcha de moi et s’accroupis à ma hauteur. Sans dire un mot, ses yeux plongés dans les miens, elle posa une main réconfortante sur la mienne. Nous n’avions pas besoin de parler en règle générale, elle était la seule à me comprendre de cette façon, comme si il lui était possible de lire en moi comme dans un livre ouvert. « Ils t’attendent tous. » me dit-elle de sa voix sûre et posée. « Ce ne serait pas correct de faire attendre tout le conseil d’administration pour ton premier jour. » Son ton n’avait rien de moralisateur et c’était une des choses que j’appréciais chez elle et que j’apprécie toujours. J’acquiesçais en prenant une profonde inspiration et elle m’aida à me relever. Je réajustais mon tailleur lentement, je devais reprendre ma place et mon rang. Il était temps de retrouver la dignité qu’il sied aux membres de la famille Bishop de montrer au reste de la maison d'édition familiale.


« who are you ? i really wanna know »

Debout devant cette baie vitrée, du haut du vingt-septième étage j’observe l’agitation de Time Square. J’ai construit un empire en moins de quatre ans, un empire de livres à succès ; mais je n’en suis pas heureuse pour autant … Tout cela ne me suffit pas. Il me manque quelque chose, un bout de moi sans lequel je ne peux être entière, un bout de moi sans lequel je ne peux aller plus avant. Quoi que je fasse, tout me ramène à lui, je ferme les yeux et j’imagine son sourire, j’imagine le timbre sombre de sa voix et je me brise à chaque fois un peu plus. Une main se pose sur mon épaule et en tournant la tête j’aperçois le visage de celle qui dirige la maison d’édition avec moi. Personne d’autre n’aurait pu être plus à sa place ici que celle à qui je lisais des histoires pour l’endormir lorsque nous étions enfants, la plus jeune de mes cousines.  « Je suis certaine que tu vas encore nous ramener un best-seller, tu as le don pour les dénicher. » Elle semble si sûre d’elle et moi si peu que j’ai l’impression d’être une enfant qui voudrait aller faire la fête en prétextant dormir chez une copine. Dans deux heures je prends l’avion et rien qu’à cette idée mes mains deviennent moites et ma bouche s’assèche. Parviendrais-je à le retrouver ? « Je te confie la maison, ne la fais pas brûler en mon absence. » Un brin d’humour pour changer de sujet, je la fais sourire malgré mon air légèrement absent qu’il ne faut absolument pas qu’elle remarque. Alors je me reprends et me dirige vers mon bureau pour prendre une pochette avec tous les papiers que ma secrétaire a soigneusement préparés. « Je suis cet auteur depuis le début et je ne me vois pas l’abandonner lorsqu’il réclame mon aide. » On ne pouvait pas trouver mieux comme alibi, la véritable raison de mon départ je ne voulais la dire à personne, une quête personnelle, la quête de mon identité. Un léger sourire se dessine sur mon visage, mais je n’ai qu’une seule chose en tête lorsque je quitte mon bureau, mon père. Je pars retrouver mon père. Blackwood, j’arrive !