Ça y est … je suis de retour. Deux ans et c'est comme si Blackwood n'avait pas bougé d'un pouce. A peine mes pieds eurent-ils foulé le sol de cette ville que j'ai eu l'impression de n'en être jamais partie. La différence, la seule différence, c'est l'absence de mon grand-père que je peux ressentir au plus profond de mon être. C'est comme si une partie de mon âme m'avait été ôtée laissant un grand vide dans ma vie que je sais être incapable de combler avant un bon moment. Ceci dit, je sais que je peux compter sur Zelda. Lorsqu'elle a vu Blackwood ces premiers mots ont été « Waouh, c'est ici que t'as grandis ? C'est cool ! » Si seulement elle savait ! Et encore, je soupçonne qu'elle aurait trouvé toutes les légendes que l'on peut entendre ici passionnantes. Zelda me rappelle souvent mon père à tel point que je me demande tous les jours par quel miracle nous parvenons à nous entendre. Mais sans elle – et sans mon frère – je sais que je serais incapable de rester plus longtemps ici. A vrai dire je ne serais même pas revenue. Maintenant, il me reste plus qu'à affronter mes parents, lire la déception dans le regard de ma mère et un je-ne-sais-quoi que je n'ai jamais su décrypter dans celui de mon père. Dieu ce que grand-père peut déjà me manquer. Avec Tommy, il était le seul à me comprendre et maintenant j'ai l’impression de me retrouver seule contre le reste du monde ...

« Regardez-moi un peu qui a décidé de ne toujours pas utiliser les portes. » Je me tiens fièrement dans l'encadrement de la fenêtre, ouverte bien évidemment. Un large sourire étire mes lèvres tandis que mon grand-père quitte son bureau pour me rejoindre. Ses mains agrippent fermement mon petit corps et il me prend dans ses bras et va se poser contre son bureau imposant en bois massif sans pour autant me lâcher. « Tu sais que ces petites escalades sont dangereuses petit singe ? » J'opine légèrement. J'ai déjà entendu ça un millier de fois au moins mais ce n'est pas ce qui m'arrête pour autant, au contraire. Il faut croire que j'aime déjà jouer à la petite rebelle de la famille, sans doute le risque d'être la seule fille et l'enfant tant voulu par ma mère. « Les portes c'est bien moins drôle et puis je voulais pas que maman me voit sortir de ma chambre. » Elle m'aurait réexpédiée dans mon lit à la vitesse lumière. Mais je ne pouvais pas dormir, je ne pouvais plus. Passer par la fenêtre de ma chambre malgré l'obscurité dehors et grimper jusqu'à celle du bureau de mon grand-père a toujours été un jeu d'enfant pour moi et puis, c'est toujours plus discret que courir dans le couloir, grimper l'escalier menant au second étage du manoir et risquer de croise ma mère sur le chemin. « Qu'est-ce qui se passe mon petit singe ? » Me demande mon grand-père en me lançant ce regard que je lui connais si bien. C'est celui d'un homme sage qui a compris, un sage qui sait que quelque chose me tracasse et ce tracas il le connaît bien mais il n'aura pas l'imprudence de me pousser à parler si je n'en ai pas envie. « J'ai encore fais un drôle de rêve. » Dis-je en baissant les yeux comme si ces rêves étaient une bêtise que je pouvais contrôler. Hors ce n'est absolument pas le cas. Je n'ai aucun pouvoir sur ces rêves qui me réveillent en sursaut en pleine nuit avec une mauvaise impression qui me compresse la poitrine. Ces rêves, je les fais depuis que j'ai huit ans. C'est également à cet âge que mon grand-père a commencé à me raconter toutes les légendes propres à nos ancêtres et aux terres sur lesquelles nous vivons. Je n'ai jamais douté des mots qui ont commencé à sortir de sa bouche, mais je ne peux pas nier le fait que ça me fait peur. « Le papillon, tu t'en souviens ? » J'acquiesce. C'est flou mais c'est toujours ce qui s'imprime le mieux dans ma mémoire. « Il était blanc. » Un sourire étire alors les lèvres de mon grand-père, sourire qui est contagieux puisque le mien revient illuminer mon visage. « Dans ce cas, tout va bien. Souviens-toi de ce que je t'ai raconté sur les papillons. » Lance-t-il en me posant enfin par terre. « Et rappelle-toi que ce ne sont que des rêves, tu ne risques rien. Même dans la réalité tu es en sécurité tant que tu te comportes bien. » Sur ces paroles, il ébouriffe mes cheveux qui, bien sûr, restent en totale pagaille. « Maintenant, je te ramène dans ta chambre avant que ta mère ne découvre ton lit vide et n'aille s'imagine que quelqu'un t'as enlevé. » Ce qui serait tout à fait son genre. Je n'oppose aucune résistance. Ma main se glisse naturellement dans celle immense de mon grand-père et je le suis sagement jusque dans ma chambre où il prend le temps de me border avant de déposer une baiser sur mon front puis de brancher ma veilleuse que mes parents oublient si souvent et qui, pourtant, semble autant chasser les mauvais rêves que le capteur de rêve au-dessus de mon lit. « Bonne nuit petit singe. » Souffle-t-il avant de fermer la porte de la chambre tandis que mes paupières, subitement trop lourdes, se ferment doucement.

Cette balade dans la forêt, je ne la sens pas. A vrai dire, dès que l'idée eut été proposée j'ai senti au plus profond de moi que j'aurais mieux fait de refuser. Mais voilà, je suis faible. Je suis incapable de dire non aux personnes qui me sont proches et ça Oliver l'a bien compris. Alors nous avons fini avec Terrence dans la forêt, en pleine nuit … le type de scénario que je déteste le plus au monde. Amy a refusé de nous accompagner et je crois sincèrement qu'elle a été la plus intelligente. Mon manteau fermé jusqu'en haut, mon visage à moitié enfoui dans mon épaisse écharpe et mes oreilles protégées par mon bonnet, je suis les deux garçons un peu plus profond dans l'obscurité. Mon grand-père m'a appris à aimer la nature et surtout les habitants de la forêt. J'adore les animaux, j'aime beaucoup moins ce qui se cache dans les profondeurs de ce lieu voilà tout. « Vous êtes sûrs qu'on ferait pas mieux de rentrer ? » Je demande pour la énième fois en à peine dix minutes. Aucune réponse, c'est plutôt claire. Et puis, après ce qui me paraît être une éternité, les garçons finissent par s'arrêter. Oliver se tourne pour nous faire face, ôte son sac à dos et commencer à fouiller dedans après l'avoir ouvert. « Faut que je vous montre ce que mon vieux garde dans un tiroir de son bureau. » Je hausse un sourcil, curieuse de voir ça en effet même si je sais qu'il n'en voit rien. En revanche, à la lumière que diffuse la lune au-dessus de nous, je vois nettement briller l'argent d'une arme à feu et, automatiquement, je fais un pas en arrière. « Tu te balades avec ça sur toi ? » Lance Terrence apparemment aussi perturbé que moi. « T'es complètement malade ! Imagine si tu étais tombé sur le chemin. » J'enchaîne en croisant les bras contre ma poitrine, furieuse. « Ça va, détendez-vous ! Je veux juste savoir de quoi ce petit bijou est capable et y a qu'ici que je peux le faire tranquillement. » Mon dieu, mais pourquoi est-ce que je le tolère déjà ? Oliver est un imbécile. Il l'a toujours été et il le sera toujours. Terrence à un faible pour lui, peut-être est-ce la raison pour laquelle je le tolère, mais ce soir je suis à la limite. « Tu comptes tirer sur quoi au juste ? Un tronc d'arbre ? » Questionne Terrence en se rapprochant pour prétendre s'intéresser un tant soit peu alors que je sais pertinemment qu'il déteste les armes. « Tu rigoles, y a bien plus fun. » Cette réplique ne me plaît pas. Je sens mon estomac se contracter douloureusement mais mon cerveau ne réagit pas assez rapidement. D'un coup tout se passe au ralenti. C'est à croire que mon corps fait en sorte que je comprenne le plus lentement possible pour ne pas paniquer totalement. Je vois Oliver chercher quelque chose, une ombre qui s'approche rapidement de nous et le coup part faisant un bruit pas possible dans le calme ambiant de la forêt. « Mais t'es complètement malade ! » Je hurle alors qu'enfin je comprends. Il semble plutôt fier de lui. Mon cœur bat trop vite au creux de ma poitrine et mon souffle se saccade. J'ai l'impression que c'est moi qui ai pris le coup, moi qui ai été touchée par la balle qu'il a tiré. Les larmes me montent aux yeux et je suis bien incapable de les ravaler. « Ça va, c'est qu'un écureuil Ava ! » Il est maintenant assez près de moi pour que je parvienne à lui coller une droite qu'il ne s'attendait pas à recevoir. Je n'attends pas de réaction de sa part, je fais demi-tour et pars de là au plus vite, quitte à me perdre, mais il faut que je m'en aille. Il me faut une bonne vingtaine de minutes pour rejoindre la route et environ une centaine de crises de panique. Et puis, au final, après vingt bonnes autres minutes de marche j'arrive chez moi. Je ne prononce pas un mot, pas même lorsque mes parents me demandent où j'étais. Je monte dans ma chambre et en claque la porte pour leur faire comprendre de ne pas venir me déranger. Je me laisse tomber sur mon lit, ma tête la première dans l'oreiller qui étouffe mon cri et fini baigner par mes larmes avant que je ne m'endorme brusquement. Ce sont les coups violents contre la porte de la maison qui me tirent de mon sommeil. Je suis toujours habillée, même mon manteau est encore sur moi. Pas très réveillée, je quitte néanmoins ma chambre et descends jusqu'à l'entrée que j'atteins avant mon frère aussi peu réveillé que moi. Mécaniquement, j'ouvre la porte et je fais face au visage baigné de larmes d'Amy. Il ne faut pas être devin pour comprendre quelque chose de mal s'est passé. En revanche il faut sans doute l'être un peu pour savoir qu'elle va m'annoncer le pire concernant l'un de nos amis. Tommy derrière moi, je cherche discrètement sa main qui une fois trouvée fini broyée dans la mienne. De cette manière il comprend, il sait que je sais. « C'est Oliver … ils l'ont retrouvé en bas d'une falaise. Il … il est mort Ava. » M'annonce mon amie avant de fondre en larmes. J'avale ma salive avec difficulté. Je le savais mais j'aurais préféré avoir tord. Les animaux sont sacrés, surtout par ici. Il aurait tiré sur un fichu tronc d'arbre il serait rentré sans encombre mais il a fallu qu'il tire sur cet écureuil. Nos actes sont ceux qui nous amènent sur tel ou tel chemin, lui n'a pas emprunté le bon … effet papillon. Je ne parviens pas à ouvrir la bouche. Je reste à fixer une de mes amies dont je suis le plus proche pleurer à chaudes larmes et je n'arrive pas à la consoler, je suis juste capable de la fixer et de serrer la main de mon frère toujours derrière moi.

J'enfonce violemment mes affaires dans le fond de mon sac comme si de cette manière il allait miraculeusement être plus profond à l'intérieur qu'à l'extérieur … un peu comme le sac de Hermione dans Harry Potter ou comme le tardis. Évidemment, ce n'est pas le cas et je me bats avec le reste de mes vêtements puis avec la fermeture du sac qui manque de céder alors que je tire dessus comme une malade. « Tu fais peur à voir. » L'intrusion imprévue de Tommy me fait faire un bond. Du revers de ma main, je chasse les larmes qui perlent le long de mes joues même si je sais qu'il les a déjà vu un peu plus tôt dans la journée. Je ne lui accorde pas plus d'attention et je commence à ranger le reste de mes affaires dans un autre sac. « T'es pas obligée de partir tu sais. Ils n'en sauront rien. Je t'ai promis de garder ça pour moi et je le ferais tu sais. » M'assure-t-il en rejoignant mon lit sur lequel il s'assoit. Je continue de garder le silence en rangeant rageusement tout ce que je peux dans le second sac mais la main de Tommy m'arrête. Je lève mon regard brouillé par les larmes vers mon grand frère, celui dont j'ai toujours été le plus proche et qui a toujours su avoir les mots justes pour me réconforter bien que là je ne sois pas sûre qu'il puisse les trouver. « Je me moque de ce que peuvent penser nos parents de ce que j'ai fais. » Je lâche enfin d'une voix rendue rauque par les sanglots qui m'ont secoué toute la journée. Tommy hausse un sourcil lourd de sens. « D'accord, pas tant que ça mais c'est lui que je ne veux pas croiser … et je veux encore moins qu'il sache. Partir c'est mieux, crois-moi. » Mes parents n'ont pas compris. Mon grand-père est celui qui est parvenu à les convaincre que c'était mon choix et qu'il fallait que je vole de mes propres ailes. Officiellement, cette ville me fout tellement les jetons que je préfère faire mes études de médecine ailleurs. Ce n'est pas tout à fait faux si bien qu'utiliser ceci comme excuse a été d'une facilité déconcertante, la vérité est bien moins facile à avouer. Hormis mon frère, personne n'a jamais su que je voyais un homme marié, j'aurais bien trop fait honte à ma famille. Mais voilà, nos sentiments on ne les contrôle pas. On peut toujours les refouler, les ignorer, mais tôt ou tard ils refont surface. J'ai préféré leur faire face directement et je me suis pris un mur. Enceinte et abandonnée, rien de mieux pour débuter sa vie d'adulte n'est-ce pas ? Ma grossesse, personne n'a eu le temps de l'apprendre, pas même le père de l'enfant. En fait, Tommy l'a su parce que j'aurais été incapable d'aller avorter sans sa présence. J'aurais sans doute gardé l'enfant si l'enfoiré qui aurait pu lui servir de père n'avait pas préféré redonner une chance à son couple et me larguer comme la pauvre merde que je suis. Allez donc supporter de croiser votre ex – alors que personne ne savait pour votre relation et que donc personne ne comprendra la raison pour laquelle vous le haïssez – tout en sachant que vous avez porté son enfant tout juste quelques semaines pour finalement le tuer. Parce qu'au final c'est ce que je suis, une meurtrière. Je ne vaux pas mieux que ces hommes et femmes transformés en wendigo après avoir mangé de la viande humaine dont mon grand-père m'a toujours parlé … sauf que moi je vais rester humaine. « Avalon, tu n'as pas avoir honte! C'était la meilleure chose à faire. » Tommy se relève et m'amène contre lui. Je me laisse faire et sens de nouvelles larmes inonder mon visage puis le tissu de sa chemise. Je le serre fort contre moi. Qu'est-ce que j'aurais fais sans lui dans ma vie ? Comment vais-je survivre à la jungle de Chicago sans lui ? Je l'ignore mais mon choix est fait. Je ne peux pas retourner en arrière. Je ne le veux pas. Doucement, je me sépare de lui. Je relève la tête pour croiser le regard de ce frère qui fait bien deux bonnes têtes de plus que moi. « Tu vas me manquer idiot. » Je souffle en séchant une nouvelle fois mes larmes. Il sourit puis embrasse tendrement mon front. « Toi aussi tu vas me manquer Nokoko. »

Mes rêves ne m'avaient plus autant terrorisés que depuis que je suis de retour. C'est à croire que le simple fait de revenir ici réveille tout en moi. J'aurais préféré m'en passer, sincèrement. C'est la seule chose à laquelle je n'arrive pas du tout à m'habituer. En deux petits mois, j'ai réussi à me faire au vide laissé par la mort de mon grand-père tout comme au fait de croiser régulièrement la véritable raison de mon départ de Blackwood. Vivre en colocation avec Zelda m'est d'une grande aide, il faut bien l'avouer. C'est un tel rayon de soleil qu'elle chasse instantanément ma mauvaise humeur. Seulement, lorsque je me retrouve seule, les ombres m'assaillent à nouveau. La peur qui me dévorait par le passé revient me ronger petit à petit de l'intérieur. Mes nuits ne sont plus aussi calmes qu'elles pouvaient l'être lorsque je vivais à Chicago et je dois avouer que ça me manque. Mais maintenant que j'ai retrouvé ma famille, mes frères, je n'arrive pas à comprendre comment j'ai fais pour les abandonner. Peut-être que les choses ne sont pas très normales ici – après tout elles ne l'ont jamais vraiment été – mais je peux sans doute m'y faire … est-ce que j'ai réellement le choix de toute façon ? J'en doute et je pense que c'est ce que mon grand-père a tenté de me faire comprendre toutes ces années. Je suis liée à Blackwood, à ces terres où notre famille a toujours vécu. Une part de moi ne pourra jamais quitter ces lieux, une part de moi ressentira toujours le besoin d'y retourner et malgré ma peur je sais que je suis à ma place … même si je préfère le nier.