Encore un réveil seul dans ce lit qui était devenu trop grand pour lui, l'absence de Jude se faisait sentir et c'était lui qui l'avait mis à la porte… Est-ce qu'il avait eut tort ? Jude l'avait trompé ! Il ne pouvait pas avoir tort. Alors pourquoi était-ce si douloureux ? Il avait beau le haïr, il l'aimait encore. Il avait beau dire qu'il ne lui laisserait jamais de seconde de chance, il crevait d'envie de dormir encore contre lui. De sentir son odeur. De toucher sa peau, de caresser ses cheveux, d'embrasser ses lèvres… Il secoua sa tête et se dirigea sous la douche pour se changer les idées, mais ce n'était pas efficace. Cela faisait cinq semaines que ça durait. Cinq semaines qu'il insultait mentalement le beau blond. Après un café il enfourcha son vélo… évidemment, il pleuvait et comme par hasard, il avait mis ses lunettes puisque ce matin, les lentilles lui faisaient mal… Il ne voyait pas très clair. Il aurait pu avoir un accident, ce n'était pas grave, ce n'était pas comme si Jude s'en souciait de toute façon.  Pfff, il était con de penser ce genre de choses, il n'y avait pas que Jude d'important, il avait sa mère, son grand-père, ses amis… Il arriva donc au lycée, direction sa première heure de cours. Il devait rendre les devoirs de sa classe de terminale…Et ce n'était pas brillant. Après un sermon qui ne servait à rien, il reprit le cours où il l'avait laissé la fois d'avant. Il avait une heure de trou de dix à onze heures, les élèves quittèrent la salle, mais une gamine fit demi-tour. « Au fait monsieur, on avait pris le globe de la salle pour un truc en court d'art plastique et on a oublié de le ramener, si vous en avez pas besoin de suite on vous la ramènera. » Le prof la remercia de l'information et la salua… Le truc, c'était qu'il allait parler des voyages de Colomb à sa classe de secondes… Il en avait besoin, la plupart n'avaient aucune idée d'où étaient le Portugal, l'Espagne et l'Italie.

Bon, bah direction la salle d'art plastique. Le prof d'histoire toqua à la porte avant d'entrer. « Bonjour, parait que… » Il se figea en voyant le prof. Ce n'était pas Miss Abbott ça… Pas du tout. Il resta immobile en fixant le professeur devant lui. Heureusement que son cours à lui aussi venait de se finir sinon il aurait eu l'air très con. « Je … tu… p-pourquoi t'es là ? Où est miss Abbott ? » Lâcha le petit brun complètement déboussolé. Pourquoi est-ce que Jude était là ? Ce n'était pas sa place ! Sa place était dans son atelier, loin de lui ! Ah putain, il était toujours aussi beau, même si visiblement fatigué. Mais non, ce n'était pas le moment de penser à ça ! Il allait récupérer son globe et il allait vite partir. Loin. Très loin… Enfin pas tant que ça… Il allait monter l'escalier et s'enfermer dans sa salle de classe.  Il était vraiment maudit aujourd'hui. Elle foutait quoi son amulette de tortue autour du cou qui était sensé lui porter chance, hein ?!

Ce job lui paraissait bien plus dur que ce qu'on lui avait promis. Affronter une armée de lycéen(e)s était littéralement effrayant. Il avait eu un mal fou à tenir ses six premières heures la veille. Il avait manqué de faire une crise d'angoisse au milieu de la quatrième. Et il avait été un brin scandalisé de voir que son nom avait été cité sur les réseaux sociaux pour signifier qu'il était sacrément sexy. Il avait le double de l'âge de ces gamins ! Comment pouvaient-ils fantasmer sur lui ? C'était carrément gênant. Bref. Le deuxième jour, il n'avait pas beaucoup d'heures, deux juste, mais très espacées. Il avait décidé de rester sur place après sa première heure, afin de prendre un peu ses marques et faire état du matériel qu'ils avaient à disposition. Il devait aussi passer par la salle d'histoire-géo pour ramener le globe. Il en avait eu besoin pour expliquer plusieurs moments clefs de l'histoire de l'Art. Vu la méconnaissance de l'Europe qu'avait ses élèves, une carte était nécessaire. Enfin... Il eut un soupir assis sur son bureau. Il ne savait vraiment pas s'il était apte à enseigner... Mais bon, il n'était probablement pas le pire prof que la terre ait porté. Il se dirigea vers la réserve, et commença à se battre avec le matériel. Pour éviter de tuer sa chemise -il en avait si peu, il valait mieux pas les abîmer-, il la déposa sur sa chaise, se retrouvant en débardeur. Qu'importait, personne n'était censé débarquer maintenant, non ? Personne n'était susceptible de voir les bandages sur ses bras.

Il transporta quelques chevalets dans la pièce principale, libérant un peu d'espace dans la réserve poussiéreuse. L'ancienne professeur ne semblait pas très portée sur la pratique des arts vu la poussière accumulée. Il allait devoir changer ça. Il ramena une caisse de peintures sur son bureau et... La porte s'ouvrit et se referma sur... Felix. Son cœur se serra. Pourquoi ? Il ne lui avait rien dit, et avait tout fait pour éviter la salle des professeurs. Pourquoi venait-il ici ? Il se sentait tellement mal d'un seul coup. Il ne savait pas quoi dire. Il était perdu. Et les questions de Felix peinait à faire sens dans son cerveau.

« Bonjour... » souffla-t-il en attrapant sa chemise, cachant instinctivement les traces qui avaient causé son hospitalisation un mois plus tôt.

Il fixait Felix. Pourquoi n'arrivait-il pas à détacher ses yeux de son visage ? Pourquoi avait-il tant envie de le serrer dans ses bras ? De s'excuser encore ? Cela ne servait à rien, mais c'était la seule chose dont il avait envie. Son pardon. Mais au lieu de ça, il se souvint des questions.

« Miss Abott est en congé maladie. Je suis son remplaçant pour quelques mois. Désolé. Je pensais pouvoir éviter de te croiser. Je suppose que c'est ce que tu veux, non ? Je ferai en sorte de ne pas t'importuner. Je peux même démissionner si... Si cela te dérange que je travaille ici. »

Son psy l’engueulerait sûrement, mais... Mais il ne pouvait pas faire plus de mal à Felix. C'était hors de question. Il ferait ce que son ex voudrait sans chercher à négocier.

Il avait entre aperçu les bandages. Est-ce que Jude avait tenté de faire une connerie ? Jude était moralement instable et il le savait très bien… Il connaissait ses terreurs nocturnes, il savait qu’il avait des tocs… Est-ce qu’il avait été con de mettre un terme à leur histoire ? Felix commença à culpabiliser moralement en écoutant les paroles du blond. Hum, ça expliquait tout si la prof d’art n’était pas là. Mais merde, il aurait aimé être prévenue plutôt que tomber sur lui… Pourquoi est-ce qu’il ne pouvait pas juste l’ignorer ? Être neutre à sa présence… Ce serait tellement plus simple comme ça. Mais non, Jude, c’était l’homme qu’il avait aimé pendant quatre ans, il avait été son ami avant ça… Il aurait aimé être à nouveau son ami, mais être son amant c’était tellement mieux. Enfin, à condition de ne pas se faire tromper avec le premier venu. Maintenant, il avait peur de se mettre en couple, il préférait enchaîner les histoires d’un soir. Son cœur n’était pas prêt pour recommencer à aimer… Ou pour arrêter d’aimer le blond. Il n’était pas non plus prêt pour arrêter d’être en colère. Tsss, lui qui avait une éducation de chaman et qui se revendiquait pacifiste, il était aussi en colère contre lui-même pour ça.

« Ne dis pas de bêtises, je vais pas de demander de démissionner. J'aurais… juste aimé être mis au courant… Pour ne pas avoir l'air bête comme ça... Et Blackwood est une petite ville, c'est pas comme si on ne risquait pas de se croiser… plus jamais. » Il se mordilla la lèvre et remit ses lunettes en place sur son nez. Plus jamais… Ce n'était pas ce qu'il voulait. Bordel, ce que l'amour pouvait être douloureux lorsqu'il ne tournait pas rond. « J'ai vu les bandages sur tes bras. Tu t'es fait quoi ? T'as une petite mine en plus. Tu manges bien au moins ? » Qu'est-ce qu'il racontait ? Ta gueule Felix ! À quoi tu joues ? Vous n'êtes plus ensemble ! Okay, zen. Jude serait peut-être trop à côté de la plaque pour remarquer qu'il venait de s'inquiéter pour lui. Après tout, l'artiste était souvent ailleurs… Il avait l'habitude… Il aimait bien ça chez lui, c'était mignon. Mais il s'imaginait que bientôt un autre que lui pourrait profiter de ce détail mignon. Pourquoi est-ce que Jude l'avait trompé merde !? Pourquoi est-ce qu'ils n'auraient pas pu rester ensemble, heureux comme avant ? En même temps, Felix était petit, pas spécialement bien foutu, assez maigrichon et complexé, c'était facile de trouver quelqu'un de plus excitant que lui… Surtout que Jude, lui, était moyen, très beau, avec des yeux bleus à tomber, des trais fin, un corps agréable… C'était facile de se dire qu'il ne le méritait pas… Il aurait même dû s'estimer heureux qu'il ait attendu si longtemps avant d'aller voir ailleurs…

Le brun semblait vraiment perturbé de le voir ici. Était-ce si improbable que ça que le blond travaille ici ? Les élèves n'avaient pas l'air de se formaliser de sa présence. Au contraire. Ses premiers cours s'étaient bien passé objectivement parlant... Il se frotta un peu le front. Il se sentait vraiment mal à l'aise. Il ne savait pas quoi faire. Il avait envie de disparaître, mais aussi de rester pour l'éternité en face de son ex-amant. Il baissa un peu la tête.

« C'est le seul avantage à Blackwood... de pouvoir te revoir... » laissa-t-il glisser dans un murmure.

Il se mordit les lèvres en s'apercevant de ce qui venait de lui échapper. Il avait tellement besoin de lui dire combien il lui manquait. De se faire pardonner. Il releva un peu le regard.

« Je suis désolé... J'ai essayé de t'appeler... Mais je n'ai pas réussi... Je... »

Il se frotta un peu plus le front. Sa peau rougissait à vue d'oeil, ses gestes étant trop brutaux pour sa peau fragilisé par ses excès, et par son état de santé. Il soupira, marchant un peu dans la salle pour se donner une contenance. Il déplaça un chevalet vers le mur. Il se frotta un peu le crâne, gêné par ses questions. Même si Felix s'inquiétait pour lui ? Il riva son regard bleuté sur lui. Il se mordit la lèvre, mais esquissa ensuite un petit sourire.

« C'est rien... Je me suis juste coupé avec un pot de peinture récalcitrant... » mentit-il avec conviction.

Il ne voulait pas que Felix sache pour l'hôpital, pour ses soucis, son instabilité, tout ça. Il ne voulait vraiment pas qu'il sache. Il culpabiliserait, et ce n'était pas sa faute. Il ne devait pas s'en vouloir d'une chose qui n'était de son fait. C'était lui qui avait tout gâché. Pas Felix. Le petit brun ne méritait ni d'être trompé, ni d'être inquiet. Ni quoi que soit de ce genre. Il avait déjà assez subi en restant quatre ans à ses côtés. Maintenant, Felix avait le droit d'avoir une vie stable, avec quelqu'un de bien, qui puisse vraiment prendre soin de lui et ne pas rater tout ce qu'il entreprend.

« Je mange bien, ne t'inquiète pas... De nous deux, c'est toi qui est une catastrophe en cuisine... »dit-il en lui souriant.

Cela lui manquait de cuisiner pour deux. De vivre à deux. Seul, il n'arrivait plus vraiment à faire les choses simples du quotidien. Il avait effectivement perdu du poids. Mais cela n'était pas si visible ? Quoique Felix l'avait vu des années et s'il connaissait aussi le corps de son amant que Jude celui de Felix.... Alors ce genre de détails ne lui échapperait jamais.

« Et toi... Tu arrives à manger trois fois par jour sans faire brûler la cuisine ? » demanda-t-il doucement, plus affectueux que taquin.

Il aurait bien proposé à Felix de manger quelques fois avec lui, mais étrangement, cela ne lui semblait pas être une si bonne idée que ça.

Les mots de Jude, c'était comme un coup de poignard dans le cœur. Comment osait-il dire ce genre de choses alors que c'était lui qui l'avait trompé, c'était lui qui avait été voir ailleurs si l'herbe était plus verte. Felix n'avait rien à se reprocher alors pourquoi le blond sortait ce genre de choses ? Est-ce qu'il essayait de le culpabiliser ? Parce que c'était le cas, c'était réussi. Le professeur d'histoire souffrait des paroles de celui-ci remplaçait la prof d'art. Il souffrait de son absence, il souffrait de la colère, de la solitude, de l'amour qu'il éprouvait toujours pour lui, de ne pas être capable de pardonner, d'avoir peur de ne jamais être assez bien pour personne et de se demandait s'il était légitime qu'on le trompe. Oui, il n'était pas grand, il n'était pas spécialement beau, pas drôle ou intelligent, alors oui, c'était facile de trouver quelqu'un de mieux que lui. Il était trop complexé par bien des choses. Et le fait que Jude avait été voir quelqu'un d'autre n'avait pas arrangé les choses… ça les avait même empirées. Pourquoi est-ce que cet idiot avait l'air si mal à l'aise ? Ce n'était pas lui la victime dans cette histoire ! Enfin, c'était facile d'en vouloir au blond, c'était plus facile que de lui pardonner en tout cas. Il n'était pas encore prêt pour ça… Peut-être que lorsqu'il le serait, Jude serait heureux dans les bras d'une autre personne, peut-être qu'il était en train de se foutre lui-même des bâtons dans les roues… Mais il avait choisi la solution de simplicité… Il était comme ça.

Il écoutait donc ses paroles… Il ne croyait pas tellement à l'histoire du pot de peinture, mais si Jude préférait lui mentir et bien qu'il lui mente, ce n'était plus son problème. Le brun esquissa cependant un semblant de sourire en entendant la remarque de Jude au sujet de la cuisine… Felix était nul dans ce genre d'exercice, c'était le blond qui faisait généralement à manger lorsqu'ils étaient ensemble. Il avait détourné le sujet de la conversation sur lui. Et il n'avait pas vraiment envie de parler de lui en ce moment, pas avec Jude en tout cas. Lui dire qu'il se comportait comme une pute pour oublier qu'il n'y avait personne chez lui lorsqu'il rentrait le soir, qu'il préférait être mal accompagné que seul, qu'il était rien qu'un con qui pleurait pour un mec qui l'avait trompé… il n'en avait pas envie. Il avait un minimum de fierté… ou alors, pas assez… Dans les deux cas, il préférait garder tout ça pour lui. « Je mange des plats déjà préparés… au micro-onde… » Il marqua une pause. Il n'avait pas grands choses de plus à dire. « Je suis pas si con. Je te connais et je sais voir quand tu vas mal. C'est le cas en ce moment… je ne crois pas que ce soit une bonne idée de te demander pourquoi. Mais… » Mais fait attention à toi. Mais essaie d'aller mieux. C'était ce qu'il aurait dit s'il n'avait pas été si con ou si rancunier, ou les deux. « Mais les élèves ne doivent pas voir que leur prof va mal, ce n'est pas bon pour leur éducation. » Il n'en savait rien… qu'est-ce qu'il connaissait à l'éducation des gosses hein ? Rien. Mais c'était plus simple de trouver une excuse bidon pour lui dire de faire attention à lui que de lui dire sincèrement qu'il n'aimait pas le voir comme ça…

Être dans la même pièce que Felix, c'était sans doute finalement plus douloureux encore que de ne pas le voir. Il avait la sensation qu'il pouvait le toucher, mais aussi d'être tellement loin de lui. Repoussé par son ton, par sa façon de le regarder. C'était plus douloureux que d'être simplement loin. Et ce n'était probablement ni l'endroit, ni le moment pour essayer de lui expliquer ce qui s'était passé, ce qui l'avait poussé à faire les plus grosses conneries de sa vie. Non, pas le moment. Pourtant, les mots lui brûlaient les lèvres. Il voulait lui dire qu'il l'aimait, plus que jamais, que personne n'était meilleur pour lui, qu'il ne se souvenait même plus de cette nuit dans un autre lit, mais qu'il se mourrait de ne plus partager le sien. Mais tout cela restait bloqué. Une boule douloureuse au creux de sa gorge. Qui lui donnait envie de pleurer. Pas là. Pas maintenant.

« Hmm... Heureusement que le micro-ondes existe... » dit-il avec un petit sourire.

Il aurait préféré lui proposer qu'ils mangent encore ensemble, mais il sentait que c'était stupide. Il n'avait pas le droit de s'imposer comme cela. Il ne pouvait pas imposer sa présence à Felix. Même si du coup, il faisait n'importe quoi. Son cousin avait beau essayer de le faire sortir, il ne pensait toujours qu'à Felix. A son regard tantôt rieur, tantôt boudeur, mais toujours aussi attirant. Il releva le regard en entendant la voix de son ex amant. Puis détourna le regard. Forcément, Felix ne pouvait pas croire ses mensonges. De toutes façons, il ne savait pas vraiment mentir. Il se mordit les lèvres. Et pire que de se faire percer à jour, la conclusion de sa tirade lui fit l'effet d'un poignard planté en plein cœur. Son regard se posa sur le brun, perdu, et attristé. Il avait cru une seconde que son amour se souciait encore de lui. Même pas. Il se tourna pour se donner un excuse, pour pouvoir passer discrètement une main sur ses yeux.

« Ne t'en fais pas, je fais attention aux élèves plus qu'à moi-même. » répondit-il un peu sec.

Il s'éloigna, ouvrant la fenêtre. Il avait chaud. Ou froid. Il en savait rien. Mais il avait besoin de s'éloigner et de faire quelque chose pour s'occuper l'esprit. Son regard erra sur l'extérieur, la cour était presque vide de tout élève. Il avait envie de disparaître de cette pièce. Il avait envie de disparaître pour toujours en fait. Plutôt que de voir Felix si froid et distant. Il n'était pas prêt pour cela. Malgré tout ce que pouvait dire son thérapeute, il n'était pas prêt à se confronter à ses erreurs. Il eut un soupir, et se retourna vers Felix.

« Tu voulais me faire part d'autre chose ? Tu as sans doute mieux à faire que subir ma présence... » lâcha-t-il finalement.

Sa voix était légèrement tremblante. Il devait se ressaisir, mais rien n'y faisait. Sa volonté avait ses limites. Plus encore quand il s'agissait du petit brun.